Le Pain de la veille by Pascal Garnier

Le Pain de la veille by Pascal Garnier

Auteur:Pascal Garnier [Garnier, Pascal]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Il est resté malade quinze jours, dégoulinant de sueur comme un phoque hors de l’eau, froid, chaud, froid, chaud, abruti de fièvre, reconnaissant à peine les visages penchés au-dessus de lui, délirant, parlant tour à tour à Marguerite, au borgne, à Fanchon, à la petite. Muriel a été parfaite c’est-à-dire transparente. Un médecin est venu deux ou trois fois. Il a une curieuse façon de s’adresser à lui, tantôt à la troisième personne, tantôt à la première, ce qui donne à peu près ceci : « Il va mieux ?... Il a bien dormi ?... » ou alors : « J’ai moins de fièvre aujourd’hui ?... Je prends bien mes médicaments ?... » Pierre ne sait jamais de qui il est question, ça le trouble, il en arrive à se demander s’il n’est pas mort, si ce n’est pas un autre qu’on tripote. Drôle de bonhomme, tout petit, avec deux gros hublots en guise de lunettes. Il s’appelle « Gentil », Docteur François Gentil, Pierre l’a lu sur l’ordonnance. C’est vrai qu’on a envie de le faire sauter sur ses genoux, de le caresser, de lui jeter une baballe. A tout propos il hoche la tête, son cou maigre ballottant dans le col trop large de sa chemise, un petit chien en peluche comme ceux qu’on voit sur la lunette arrière des voitures.

Depuis quinze jours Pierre baigne dans les effluves de camphre, de menthol, de transpiration et de bouillon de légumes. Hier Muriel a tenté de lui faire avaler un bol de viandox avec de la viande hachée crue dedans. Ça a failli l’achever. On aurait dit de la chair en décomposition. Elle a dit que c’était pour lui refaire le sang. Il a refusé dans un haut-le-cœur. En fait il se sent très bien malade. La fièvre et le délire lui conviennent mieux que la bonne santé, de plus, il a évité le réveillon du jour de l’an, ce qui n’est pas rien. Muriel lui a offert un survêtement gris aux armes d’une université californienne. C’est la première fois qu’il en porte un semblable. C’est doux comme une grenouillère de bébé. Il ne le quitte plus, il n’a pas voulu que Muriel le lave, il aime bien cette odeur de couche douteuse. C’est bien. Il n’y a que la maladie pour vous rappeler l’enfance, la vraie, ses terreurs, ses cauchemars, ses hallucinations, ses rires de rien, ses ogres borgnes, ses fées platinées, ses héros, ce pouvoir de rester des heures à explorer le papier peint du mur, à écouter bien niché sous la couette la pluie tomber sur les toits, à regarder n’importe quoi à la télé, juste des formes qui bougent, à faire un caprice pour un verre d’eau, à dévorer des kilos de mandarines, à feuilleter des magazines, rien que les images, jamais de texte, à aplanir les différences entre la veille et le sommeil, entre hier, aujourd’hui et demain, à jouer avec ses doigts, avec sa langue, à bavoter sereinement. L’ennui est délectable, appuyé sur un



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